Mon travail est avant tout un travail d’atelier, où la peinture est expérimentée sous différents angles. La matière principalement les pigments sont à la base de toutes mes peintures, elles sont le fruit prématuré ou avarié de mes émotions et de mon acharnement à modeler la matière huileuse, grasse qui s’étend parfois sur plusieurs toiles en même temps… Les taches deviennent aussi importantes qu’une forme préméditée « finie », les accidents sont aussi déterminants que le reste, cette unité évolue pour former un point de départ ou une finalité.
Dernièrement, j’ai beaucoup travaillé la toile de jute, d’abord foulée au sol, triturée, marquée de traces de pas. Les éclaboussures et les « restes » de pinceaux s’y inscrivent, la peinture prend alors une autre dimension, j’y trouve un commencement ou un aboutissement. Ses marques sont aussi celles de l’inconscient, celles qui nourrissent le support, celles qui ne trichent pas, celles qui réapparaissent au verso.
Parfois, il suffit de simplement regarder l’arrière d’une toile, les quelques coups de pinceaux, les quelques traces de mains, pour se rendre compte que le hasard est l’imprévu tant recherché.
Le châssis épais et la toile se répondent enfin l’un à l’autre, il m’arrive souvent de désentoiler et rentoiler à l’envers. Le recto et le verso, le châssis et les tranches deviennent alors un « objet » en trois dimensions.
Je travail aussi sur des supports de récupérations souvent en bois, ils ont une histoire, ils ont été manipulés par d’autres personnes et en portent les signes. J’ai besoin de pressentir quelque chose dans mon travail de peintre. Un moment, souvent aussi furtif qu’une ombre ou qu’une lumière venant se poser quelque part, au hasard de l’atelier. La présentation de mes travaux demande des combinaisons. La mise en place des pièces n’est quant à elle pas le fruit du hasard, c’est pour moi un travail à part entière, il m’importe beaucoup de travailler dans un lieu, où je puisse tenter de mettre en correspondances mes travaux, saisir les rapports juste entre espace vide et espace plein, où je puisse arriver à établir un ensemble qui fait sens, où la peinture n’est plus une œuvre isolée mais en rapport au monde.
Eric Deprez, 2015.
Eric Deprez
« Les choses se sont mises comme cela, les objets, les supports, les découvertes et les coïncidences, tout suit sont cours. Les éléments se composent et se décomposent, les tâches apparaissent, la surprise, le silence et l’inconscient dialoguent dans un hasard muet. D’une eau qui coule, qui transporte et transmet, offre et accepte.D’une marée, elles repartent, s’offrent, se répondent et trouvent un sens ; les choses se sont démises comme cela ».